La toponymie ne se limite pas aux noms des villages et hameaux de la commune, elle s’exprime au travers des innombrables lieux-dits, écarts et parcelles qui, avant d’être répertoriés par des numéros dans un cadastre, avaient des identités nominatives, on les appelle des microtoponymes. La commune de Saint Crépin et Carlucet est riche de 116 noms de lieux répertoriés par les services du cadastre, mais possède aussi les innombrables microtoponymes, que les plus anciens d’entre nous évoquent encore, mais qui risquent de tomber dans l’oubli si personne n’y prend garde.
L’analyse de ces étymologies nous ouvre la voie vers une meilleure connaissance de la nature des sols et des reliefs que les linguistes appellent l’oronymie, vers une découverte des ruisseaux, des sources et des fontaines, c’est l’hydronymie, vers l’appréciation des rares routes d’autrefois, mais surtout des innombrables chemins que nos ancêtres parcouraient à pied ou à dos de mulet, c’est l’odonymie. C’est surtout la végétation qui est la grande gagnante de ce vocabulaire rural : la phytonymie ou terminologie végétale, présente partout, qu’il s’agisse des arbres de la forêt ou de ceux, si précieux qui nourrissent les hommes comme le châtaignier. C’est encore le vocabulaire des plantes, celles que les hommes cultivent pour se nourrir et celles comme le chanvre (cannabis) dont ils s’habillent, car avant de trouver de futiles usages existentiels destructeurs, le chanvre avait une valeur essentielle : cultivé avec soin, roui, séché, peigné, tissé, il confectionnait jadis une grande partie des trousseaux.
Cette approche nous permet aussi d’appréhender les activités humaines, qu’elles soient artisanales ou culturelles s’inscrivant dans un contexte historique ou religieux.
Nous trouvons dans l’origine de ces noms les différentes strates d’occupation humaine au cours de l’histoire du pays : noms d’origine celtique, gauloise, gallo-romaine, presque toujours réappropriés par la langue occitane, celle-là même qui était parlée par tous jusqu’à ces dernières décennies.
Le terme occitania – pays de langue d’oc – est brièvement utilisé au Moyen-âge, puis tombe dans l’oubli pour ne ressurgir qu’au XIXe siècle comme affirmation d’une culture et d’une certaine réalité identitaire en opposition plus ou moins directe avec l’uniformité nationale.
Mais la langue occitane, elle, n’a jamais cessé d’être parlée, même si elle fut qualifiée de patois par ses détracteurs. Pour les linguistes, si le domaine occitan est très étendu, couvrant le Limousin, le Périgord, l’Auvergne, le Dauphiné, la Gascogne, le Languedoc et la Provence, il est aussi très morcelé, en quelque sorte vernaculaire, le langage pouvant varier d’une région à l’autre, voire d’un canton à l’autre, d’où la difficulté de le saisir dans ses fondements. On distingue volontiers la langue sud occitane, dite languedocienne, et la langue nord occitane, dite limousine. Pour les linguistes la démarcation suivrait les sinuosités de la rivière de Vézère, projection assez théorique, mais qui explique la difficulté de la toponymie locale, partagée entre langue d’oc et patois limousin.
Si la toponymie s’appuie sur des substrats historico-culturels bien connus, l’interprétation que l’on en donne peut varier, il convient d’être prudent et dans certains cas se contenter de suggérer, sans affirmer.
Evocation de quelques noms de lieux de la commune :
Bertal :
Appelé dans les actes anciens « Pech Bertailh » car il s’agit, en effet d’un pech, d’une position élevée. Quant au nom de Bertail, devenu Bertal, on peut évoquer deux hypothèses : soit par déformation du gaulois broccia, puis bruscia passé en occitan ancien à berta qui signifie broussaille, soit le mot berth, d’origine germanique, qui signifie brillant, valeureux, pouvant peut-être évoquer en ce lieu, une fortification ou un poste de garde
Bois Barrat :
Se dit aussi bosc Barrat, c’est-à-dire un bois qui est clôturé, fermé, soit par des broussailles impénétrables, soit par des clôtures.
Bois Vieux :
Se dit aussi Bosc Vielh, selon la terminologie occitane. Il devait être planté de grands vieux arbres.
Bonnefon :
C’est un hydronyme, la « fon » c’est la fontaine, bonne par la qualité de son eau, mais surtout parce qu’elle ne tarit pas.
Carlucet :
Le nom vient du latin Castelium, lui-même dérivé de Castrum qui signifie site fortifié. Le suffixe diminutif « et » étant réducteur indique un petit bourg fortifié.
Combas :
Nom issu du gaulois cumba, il est passé en latin et en occitan et donne le mot « combe » et ses dérivés qui sont très nombreux dans la région, tant en noms de lieux qu’en noms propres. Il désigne une dépression en forme de vallée plus ou moins profonde.
A Saint Crépin, le village de Combas s’appelait anciennement Niouvelle. En 1779, les deux noms subsistent, bien que celui de Combas soit plus fréquemment utilisé par les propriétaires des tenures dans les « Reconnaissances Féodales » faites aux seigneurs. On peut affirmer qu’aujourd’hui le nom de Niouvelle a disparu des mémoires. Il est issu de vila, du latin villa, c’est-à-dire maison de campagne, ferme ou métairie, qui pouvait distinguer la rustica ( la ferme), de l’urbana ( la partie résidentielle du maître.) Ainsi fut appelé le domaine rural du IVe au XIe siècle. Puis le mot prit le sens de hameau, village ou ville selon l’importance. Ici, le suffixe –velle est associé à –niou, très probablement d’origine germanique de niwi, nouveau, qui a donné new en anglais. Autrement dit : le village nouveau, ou la nouvelle villa, au sens gallo-romain des domaines ruraux.
Le mot latin novalia, qui a donné novale, peut aussi désigner une terre qu’on laisse reposer pendant une année.
En Cassagne :
Le nom de ce lieu-dit est fantaisiste et n’a aucune racine occitane. Il se nommait à l’origine « Boncuq ». A la racine de ce mot occitan se trouve le radical pré-latin « kuk » qui signifie une butte, une colline, un sommet ; il a des variantes en « suq » et « tuc » (Le Suquet, Le Tuquet) et l’on connaît le village de Montcuq dans le Lot.
Estival :
Pourrait venir de l’occitan estier (l’été). Estivar (récolter), du latin aestivalis, c’est le pâturage où le cheptel va en « estive » (c’est-à-dire où le troupeau va paître pendant l’été).
Eyrissou :
La première interprétation serait de rapprocher ce nom de l’occitan eiriçon, le hérisson (se hérisser se dit s’eiriçar en nord occitan) mais l’explication parait peu crédible.
Un acte de Reconnaissance de 1392, relevé dans le manuscrit de Clairambault, page 183 indique « lo mas de Yrisso » proche de la « bordaria de la Valade ». Yrisso pourrait alors être tout simplement le nom d’une personne se nommant Yries, qui a donné Yriex, patronyme qui prolonge bien évidemment le culte voué à ce saint limousin du VIe siècle qui fonda le monastère d’Attane à St Yriex la Perche. Yrissou, devenu Eyrissou, diminutif d’Yriex.
Gardiaux (autrefois Gardios) :
Dérivé de « garda », celui qui garde, le gardien. Ce toponyme indique, sans aucun doute possible, un emplacement d’où l’on pouvait avoir une vue panoramique permettant de surveiller un large espace, et peut-être l’emplacement permanent d’un poste ou d’une tour de garde.
Haute Serre :
Il s’agit encore d’un oronyme, nom lié au relief du sol. Pour les linguistes, la base « ser » définit en général une montagne allongée ou aplatie, autrement dit un plateau. Cette base qui a donné le nom ibérique « sierra » se retrouve dans de très nombreux patronymes : Serre, Lasserre, Serrès, serret, etc…En occitan, une serra est une colline étroite, un rebord de plateau.
La Bite :
Indifféremment écrit l’Abite ou la Bite dans les anciens textes. Pour Stéphane Gardon, ce toponyme se rattache sans confusion possible à un héritage religieux et à l’ancien français habit ou habite signifiant habitation. Le plus souvent au sens originel d’ermitage, qui se dit habitus au XIIIe siècle.
Un acte de 1286, cité dans la généalogie de Ferrières, sous le sceau de Salignac fait état d’une donation par Dame Cébélie de Salanhac au prieur de Rozel (prieuré situé sur la paroisse de Saint Geniès), de son village de la Godalie en la paroisse de Saint Crépin, contigu au mas de La Valade, à celui du Sautourn (Sautour) et à la borderie de Ferrière.
Peut-on dater du XIIIe siècle ou antérieurement une présence érémitique dans cette partie assez sauvage et déserte de la paroisse ? C’était une zone autrefois couverte de «pradasses ou pradasques » c’est-à-dire de mauvais prés, remplis de sources qui rendaient les cultures presque impossibles. C’est dans cette partie de la commune qu’ont été aménagés, il y a quelques décennies, de vastes étangs.
La Bôle :
En occitan la bola c’est la boule, mais c’est aussi la borne, la limite d’un tènement, d’une juridiction ou d’une paroisse.
La Boyerie ou Bouyerie :
Le « boier » en occitan c’est le bouvier, qui a donné les noms propres de Boyer, Bouyer et Bouhier. Le suffixe « ie » issu du latin « ia » indique l’appartenance : la propriété de …ici le domaine d’un boyer allusion à son métier. Les suffixes « ia » ( « ie » en français), abondent dans la toponymie locale, on les trouve souvent précédés des articles le, la ou les, plus un radical, plus le suffixe ( la Guionie, la Pervoisie, la Verperie, la Bouquerie, la Meynardie etc… )
La Pervoisie :
Appelé dans les actes anciens et sur la carte de Belleyme « La Pergousie ». Le nom peut provenir de l’occitan ancien pergar avec le sens de mesurer avec une perche, laquelle se dit perga en occitan, perdica c’est la perche d’arpenteur.
La Tâche :
Peut provenir de tasha et du latin taxa, ancienne prestation rurale en nature de travail. On appelle aussi tachier, le forgeron qui fabrique les clous, on dit aussi « cloutier ou clavetier »
La Valade :
Issu du latin valem qui indique une vallée, mais peut aussi indiquer un fossé creusé pour drainer les eaux (valada).
Le Breuil :
Lui aussi évoque une formation végétale, c’est le mot celte brogilo qui a donné le gaulois brelh, l’occitan ancien brolh, qui signifie un bouquet d’arbres, un petit bois, souvent entouré d’un mur ou d’une haie. Il existe de nombreux noms propres dérivés : Delbreil, Dubreuil, etc…
Le Luquet :
Du latin lucus qui signifie un petit bois, voire parfois un « bois sacré », le radical est suivi du suffixe diminutif « et » réducteur.
En occitan, luquet ou loquet signifie aussi : serrure.
Le Mascolet
Le mot mas vient du latin mansus qui a donné la « manse féodale » c’est-à-dire l’exploitation rurale au MoyenAge. Le mas n’est pas réservé seulement au vocabulaire provençal. Quant à colet, il peut indiquer una cola ( petite colline) ou tout simplement le nom du tenancier.
Le Pesquier (Lou Pesquié) :
Le mot est issu de peschier (qui n’a rien à voir avec l’arbre fruitier), mais doit être rapproché du latin pescarium qui signifie étang, pêcherie. C’est un hydronyme. Au Pesquier devait se trouver une pièce d’eau, alimentée par une source où l’on élevait du poisson, une sorte de vivier.
Le Poujol :
Issu de l’occitan lo pueg, qui signifie : puy, colline, mont – venu du latin podium – piédestal ou point élevé, lui-même venu du grec podion. Ce radical est prolifique dans la région, ayant donné tous les noms en « pech » ou « pouch ». On sait d’ailleurs que cette partie de la commune est élevée et correspond à une sorte de ligne de partage des eaux puisque les sources vont, soit vers le bassin de la Dordogne, soit vers celui de la Vézère.
Les Garigottes :
Lo jarric ou lo garric, en occitan c’est le chêne, l’arbre de la garrigue, chêne truffier ou simple chêne. Issu de la base prélatine « kar », sonorisé en « gar ». C’est un phytonyme, évoquant les formations végétales, ils sont très nombreux dans la commune.
Les Gunies :
Que l’on écrivait dans les actes anciens « la Guionie ». L’origine du nom n’est pas facile à identifier, l’hypothèse la plus probable évoquée par le vicomte de Gourgues dans son dictionnaire topographique serait de le rapprocher de Gauill, prononcé Ga-ouil ou Gaw-aul et de l’occitan aiga (eau). Les gaunies, les guionies dérivent de cette même racine celtique qui donne aussi le nom propre de Leygonie ; il pourrait alors désigner une source qui s’écoule dans les près en pente sans cours déterminé.
Les Roumevies, on disait autrefois La Roumevie :
Le nom peut provenir de roumetz et de l’occitan romec qui dérive du latin rumex et signifie les ronces, le roncier (c’est de ce radical que proviennent les noms de roumegous et rouméjoux).
Si la terminaison en « vie », à l’origine « via », signifie voie, chemin, passage, il est permis de penser que l’on accédait anciennement à ce village par un chemin de broussailles. Cependant le romieu, c’est le pèlerin, primitivement celui qui allait à Rome, et romevia, c’est le peigne de St Jacques. Toutefois, soyons prudent dans nos hypothèses. Un texte de 1392 nous livre un autre éclairage : « una terra alias canabals confrontan au lo fiotz de mosseu bernat de ferrieras, chevalier e en lo cami que va de la romavia vès St Crespi » (une terre autrement dit canabal (plantée de chanvre) confrontant au fief de monsieur Bernard de Ferrière, chevalier, et au chemin qui va de la romavia vers St Crépin, Manuscrit Clairambault, p 67, 1181 BnF).
Le nom de Roumevie serait alors issu du bas latin romeus, les romins ou roumes qui sont les gens du voyage, les pèlerins de Rome ou de Compostelle. Ces gens auraient-ils eu un lieu de rassemblement à cet endroit, c’est plausible. Hélas, aucune trouvaille historique ou archéologique ne vient confirmer cette hypothèse, mais la toponymie est évocatrice. Il existe dans les reconnaissances de 1779 à la Roumevie un lieu-dit le Pech Roume et dans le tènement 26 (à la Guionie) la fon des Roumins, c’est-à-dire la fontaine des roumes. La paroisse était-elle un lieu de passage pour les pèlerins ?
Les Vergades :
Le nom peut provenir du nord occitan verja, ou du languedocien verga (verge, baguette, branche souple, mais aussi fléau de balance), lui-même issu du latin virga. N’oublions pas que nous sommes en limite des deux langages. La vergantièra, c’est l’oseraie dans le midi, tandis que dans le limousin on lui préfère « lo vime » c’est-à-dire l’osier.
Marcès :
Le nom peut provenir du germanique marka qui signifie frontière, limite. Il a donné le mot marcha (marche) qui est le domaine d’un marquis. Sans doute Marcès est-il à la limite sud de la paroisse de Carlucet.
Pech Méjat :
Le mot pech (point haut) n’est plus à expliquer, quant à Méjat il vient du latin médianus qui a fourni l’adjectif « moyen ». Ici, il a surtout le sens de mitoyen, placé probablement entre deux territoires ou deux fondalités.
Peneyral (autrefois Pech Neyral) :
Là encore il s’agit d’un oronyme indiquant le relief, on sait que pech vient de pueg, la colline et neyral est dérivé de l’occitan neir (noir). La colline noire. Avant d’être un camping très ensoleillé, pour le plus grand plaisir des touristes, le Pech Neyral était un lieu assombri par la présence de frondaisons épaisses, probablement des chênes verts, on sait que ce sont eux qui ont donné au Périgord Noir son qualificatif.
Perceval :
« En » désigne un endroit non délimité. Cassagne, en occitan cassanha, vient du bas latin cassanus et cassanea qui désigne le chêne, c’est un endroit boisé où le chêne croit en majesté.
Il y a quelques décennies, le propriétaire du lieu, craignant que le nom de son domaine ne prête à de douteuses plaisanteries, fit très légalement modifier ce toponyme occitan. Il choisit délibérément « Perceval », assurément plus poétique puisqu’il évoque la quête du Graal par les chevaliers de la Table Ronde, mais bien peu périgourdin.
Saint Crépin :
Le nom de la commune est un hagionyme, c’est-à-dire un nom de lieu qui est en même temps le nom d’un saint. Ce n’est pas un cas isolé, on en dénombre 3500 sur les 36000 communes du territoire métropolitain français.
Ces hagionymes ont bien failli être balayés par la tourmente révolutionnaire en 1793, mais leur enracinement était profond et ils ont vite repris leur place dans le patrimoine linguistique français.
Crépin et Crépinien étaient deux frères nés à Rome et martyrisés à Soissons en 287. Ce sont les patrons des cordonniers et des tanneurs, ils étaient aussi connus comme saints guérisseurs.
Valeille :
Venu du latin vallem (le val), le mot est féminin en latin et en occitan. C’est un oronyme, très fréquent en toponymie, pouvant indiquer un lieu, village ou maison dans une pente, Il se décline en d’innombrables noms propres (Laval, Duval, Valat, Vau, Valès etc…)
En conclusion :
Cet essai sur la toponymie de la commune est loin d’être exhaustif car, ainsi qu’il a été dit au début, les noms de lieux sont innombrables. Nous souhaitons toutefois que cette recherche éveille la curiosité de quelques uns et surtout le désir de ne pas laisser se perdre un patrimoine linguistique venu du fond des âges.
Dans l’histoire des noms de lieux, il convient d’être circonspect, il est souvent dangereux d’affirmer, tant l’écheveau des étymologies est parfois emmêlé. Nous nous sommes appuyés pour faire cette étude sur les compétences de plusieurs linguistes spécialistes des langues occitanes comme Yves Lavalade, Louis Alibert, Bénédicte et Jean-Jacques Fénié, mais toute autre compétence peut être constructive.
(“Approche toponymique partielle de la commune de Saint Crépin et Carlucet” réalisée par Mme Annick LEBON-HENAULT – Bulletin municipal 2013/2014)